Education bilingue dans le cadre du trouble du spectre de l’autisme


Développement langagier bilingue chez les enfants déficients intellectuels ou présentant un trouble neurodéveloppemental

Chercheurs impliqués: Annick Comblain & Sidney Moes 

 

Le TSA fait partie d'une famille de troubles incluant l'autisme et le syndrome d'Asperger. Plusieurs niveaux de sévérités (léger-modéré-sévère) existent en fonction de l'ampleur du déficit de communication sociale et de l'impact comportemental. Son incidence est de 1 cas sur 68 enfants soit environ 2% de la population (American Psychiatric Association, 2015). Dans les premières années de vie, la majorité des enfants TSA présentent un retard dans l'acquisition et le développement de la parole et du langage. Après l'âge de 5-6 ans, les trajectoires développementales varient fortement d'un enfant à l'autre allant d'un langage quasi normal à l'absence de langage. Dans le TSA, l’initiation et le maintien des interactions sociales sont particulièrement déficitaires (Jullien, 2020). L’enfant peut rester non-verbal ou communicateur émergent (Koegel et al., 2020) avec un langage peu voire non-fonctionnel (avec des écholalies par exemple).  Dans le cas où l'enfant n’a pas accès au langage oral, ou présente des besoins spécifiques des communication, des outils de communication alternative ou augmentative, dits systèmes de CAA, peuvent être mis en place pour tenter de lui donner la possibilité à d'exprimer ses envies et ses besoins (Maillart, 2021). Le choix et la mise en place d'un système de CAA parmi les nombreux systèmes disponibles repose l'attrait de l'enfant pour le système, mais également sur ses compétences de base, et notamment, ses compétences de compréhension de son environnement et de la signification qu'elle attribue à ce qu'elle perçoit. Cependant, comme le soulignent Maljaars et al. (2012) ou encore Noens et al. (2006), les enfants TSA dont les compétences cognitives sont les plus faibles, notamment en raison d'une déficience intellectuelle associée, présentent des difficultés persistantes dans l'attribution de sens à l'environnement et notamment la capacité à associé un objet présent dans leur environnement à une représentation photographique, picturale ou encore pictographique. Or, cette capacité constitue la base même de la mise en place d'une CAA. Déterminer les compétences en qualité de symbolisation ainsi que leur évolution au cours du temps de l'enfant est donc essentiel pour développer une CAA individualisée performante à tous les stades de la vie (Perrioux-Perdreaux & Schmitt, 2014 ; Pichaud, 2018).

Parmi les enfants TSA peu ou non verbaux, une partie non négligeable est, à l'image de la réalité dans la population générale, élevée dans un milieu bilingue (la langue familiale – minoritaire – différente de celle de l'école et de la communauté – majoritaire -). Concernant l'enfant avec une pathologie développementale du langage, un TSA ou encore une déficience intellectuelle, on a longtemps considéré que le bilinguisme constituait un facteur aggravant des conséquences primaires de la pathologie (hypothèse "des effets cumulatifs" – CEH – cf. Paradis, 2010 pour une revue de la littérature). Par ailleurs, les enfants TSA présentent, en plus de troubles du langage oral, des déficits perceptuels et cognitifs (mémoire de travail, attention, etc.) qui, selon les prédictions de la CEH, vont davantage entraver le traitement de l’input linguistique ainsi que la construction de représentations linguistiques chez l’enfant bilingue que chez l’enfant monolingue. Même si cette hypothèse est populaire, il y a peu d'études empiriques en sa faveur et les résultats des recherches actuelles montrent que ces enfants peuvent devenir bilingues sans coût additionnel pour le développement langagier, perceptuel et cognitif (cf. notamment Gutiérrez-Clellen & Simon-Cereijido, 2010; Paradis et al., 2013). En matière de TSA, la question de la pertinence d'une éducation exclusivement monolingue se pose à deux niveaux : celui de la pertinence familiale et celui de la pertinence développementale.  En ce qui concerne le second niveau, les recherches actuelles portant sur le développement lexical d'enfants TSA bilingues d'âge pré-scolaire comparés à des monolingues mettent toutes en évidence que le bilinguisme ne constitue pas un désavantage dans la constitution du stock lexical chez les jeunes TSA (cf. Wang et al., 2018 pour une systematic review) et pourrait même, au contraire, être un avantage (Peristeri et al. 2020; Petersen et al. 2012; Hambly & Fombonne 2012).

Même si les études sur la pertinence du maintien d'une éducation bilingue chez les enfants TSA sont encore peu nombreuses, elles mettent majoritairement en évidence que leur profil linguistique est  au moins minimalement similaire, et dans beaucoup de cas supérieur, à celui d'enfants TSA monolingues (Paradis et al., 2021; Beauchamp & MacLeod, 2017). Nous devons cependant garder à l'esprit que la plupart de ces études sont menées sur des enfants TSA verbaux dont le QI est dans la norme. Sachant que 20 à 30% des enfants TSA ont un langage peu fonctionnel et que 10 % restent non verbaux (Mottron, 2016), davantage d'études sont encore nécessaires avant de conclure au bénéfice potentiel d'une éducation bilingue pour tous les enfants TSA. C'est notamment avec ce type d'enfants que nous nous proposons de travailler dans ce projet dont l'objectif principal sera de déterminer si l'éducation bilingue de ces enfants améliore (1) leur compréhension du langage et des interactions sociales et (2) leur capacité de compréhension du monde environnant et, par conséquent, l'attribution de sens à l'environnement influençant ainsi positivement la capacité à associer un objet à une représentation photographique, picturale ou encore pictographique fondements de la mise en place d'une CAA.

 

Partant, d'une part, du principe que le bilinguisme influence positivement le développement langagier et conceptuel de l'enfant tout-venant (cf. notamment Bassetti & Cook, 2011) et, d'autre part, que maintenir une éducation bilingue chez les enfants TSA peut avoir un impact positif sur le développement communicationnel et langagier (Zhou et al., 2019; Paradis et al., 2021) et sur la compréhension des situations sociales de communication (Peristeri et al., 2020, 2021), nous menons un projet à visée à la fois (1) théorique : comment une éducation bilingue influence-t-elle le développement cognitif et communicationnel de l'enfant TSA peu ou non verbal et (2) appliquée dans ce contexte comment mettre en place une CAA adaptée et efficace ?

 

Quelques ressources bibliographiques sur le sujet 

 

 

Références

American Psychiatric Association. (2015). Neurodevelopmental Disorders: DSM-5® Selections. American Psychiatric Pub.

Bassetti, B., & Cook, V. (2011). Language and cognition : The second language user. In V. Cook & B. Bassetti (Éds.), Language and bilingual cognition (p. 143‑190). Psychology Press.

Beauchamp, M. L. H., & MacLeod, A. A. N. (2017). Bilingualism in children with autism spectrum disorder : Making evidence based recommendations. Canadian Psychology/Psychologie canadienne, 58(3), 250‑262. https://doi.org/10.1037/cap0000122

Fletcher-Watson, S., & Happé, F. (2019). Autism: A New Introduction to Psychological Theory and Current Debate. Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315101699

Gutiérrez-Clellen, V. F., & Simon-Cereijido, G. (2010). Using Nonword Repetition Tasks for the Identification of Language Impairment in Spanish-English-Speaking Children : Does the Language of Assessment Matter? Learning Disabilities Research & Practice, 25(1), 48‑58. https://doi.org/10.1111/j.1540-5826.2009.00300.x

Hambly, C., & Fombonne, E. (2012). The Impact of Bilingual Environments on Language Development in Children with Autism Spectrum Disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders, 42(7), 1342‑1352. https://doi.org/10.1007/s10803-011-1365-z

Jullien, S. (2020). Le choix des moyens de Communication Alternative et Améliorée (CAA). Le cas des communicateurs émergents. Travaux neuchâtelois de linguistique N 73, 2020• ISSN 2504-205X, 27.

Koegel, L. K., Bryan, K. M., Su, P. L., Vaidya, M., & Camarata, S. (2020). Definitions of nonverbal and minimally verbal in research for autism : A systematic review of the literature. Journal of autism and developmental disorders, 1‑16.

Maillart, C. (2021). Qu’est-ce que la CAA?

Maljaars, J., Noens, I., Scholte, E., & van Berckelaer-Onnes, I. (2012). Level of sense-making in children with autistic disorder and intellectual disability : Patterns of delay and deviance in development. Research in Autism Spectrum Disorders, 6(2), 806‑814.

Mottron, L. (2016). L’intervention précoce pour enfants autistes: Nouveaux principes pour soutenir une autre intelligence. Mardaga.

Paradis, J. (2010). The interface between bilingual development and specific language impairment. Applied Psycholinguistics, 31(2), 227‑252. https://doi.org/10.1017/S0142716409990373

Paradis, J., Genesee, F., & Crago, M. (2021). Dual language development & disorders. A handbook on bilingualism and second language learning (Thrid Edition). Paul Brooks Publishing.

Paradis, J., Schneider, P., Duncan, T. S., Oetting, J., & Bedore, L. (2013). Discriminating Children With Language Impairment Among English-Language Learners From Diverse First-Language Backgrounds. Journal of Speech, Language & Hearing Research, 56(3), 971‑981. https://doi.org/10.1044/1092-4388(2012/12-0050)

Peristeri, E., Baldimtsi, E., Andreou, M., & Tsimpli, I. M. (2020). The impact of bilingualism on the narrative ability and the executive functions of children with autism spectrum disorders. Journal of Communication Disorders, 85, 105999. https://doi.org/10.1016/j.jcomdis.2020.105999

Perrioux-Perdreaux, M., & Schmitt, A. (2014). Communication alternative et augmentative auprès d’adultes déficients intellectuels: Aménagements de l’environnement et outils de communication adaptés [PhD Thesis]. Université de Lorraine.

Petersen, J. M., Marinova-Todd, S. H., & Mirenda, P. (2012). Brief Report : An Exploratory Study of Lexical Skills in Bilingual Children with Autism Spectrum Disorder. Journal of Autism and Developmental Disorders, 42(7), 1499‑1503. https://doi.org/10.1007/s10803-011-1366-y

Pichaud, E. (2018). L’apport du bilan ComVoor dans la définition d’aides à la compréhension au cours de prise en charge de jeunes enfants avec autisme au sein d’un hôpital de jour [PhD Thesis].

Sparrow, S. S., Cicchetti, D. V., & Balla, D. A. (2005). Vineland Adaptive Behavior Scales–Second Edition (Vineland–II). Circle Pines, MN: American Guidance Service.

Sundberg, M. L. (2008). VB-MAPP Verbal Behavior Milestones Assessment and Placement Program: A language and social skills assessment program for children with autism or other developmental disabilities: guide. Mark Sundberg.

Tuller, L., Messarra, C., Prévost, P., & Zebib, R. (2011). Questionnaire pour parents d’enfants bilingues, French version of the PaBiQ (COST Action IS0804, 2011). Ms., Université François Rabelais, Tours.

Verpoorten, R., Noens, I., Maljaars, J., & van Berckelaer-Onnes, I. (2016). ComFor-2: Forerunners in communication-Revised edition. Manual.

Wang, M., Jegathesan, T., Young, E., Huber, J., & Minhas, R. (2018). Raising Children with Autism Spectrum Disorders in Monolingual vs Bilingual Homes : A Scoping Review. Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics, 39(5), 434‑446. https://doi.org/10.1097/DBP.0000000000000574

Zhou, V., Munson, J. A., Greenson, J., Hou, Y., Rogers, S., & Estes, A. M. (2019). An exploratory longitudinal study of social and language outcomes in children with autism in bilingual home environments. Autism, 23(2), 394‑404. https://doi.org/10.1177/1362361317743251

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